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La causalité classique remise en question par la Physique Quantique

La question est posée : est-ce que la Physique Quantique peut remettre en question la causalité classique ? Nous tentons d'y répondre à travers les paragraphes suivants :

  1. La causalité déterministe de Planck
  2. L'indéterminisme
  3. La "causalité élargie" selon Bernard d'Espagnat
  4. Bibliographie

 

1. La causalité déterministe de Planck

Max PlanckL'intérêt de la pensée de Planck réside dans le fait qu'il désire sauver le déterminisme malgré toute l'incertitude qui règne dans le monde microscopique. Pour cela il définit la causalité grâce à la notion de lien à forme de loi qui relie deux évènements dont le premier est appelé cause et le second effet. Il en résulte que la meilleure preuve de l'existence de ce lien de causalité entre deux phénomènes consiste à montrer que l'apparition de l'un de ces phénomènes permet toujours de prédire à l'avance l'apparition de l'autre.

D'autre part, Planck affirme une seconde vérité qui certifie qu'en aucun cas il n'est possible de prédire exactement un phénomène physique. En effet, la théorie de l'induction, selon Popper, n'est pas viable car elle n'apporte pas la certitude logique qui justifie l'enchaînement des événements, mais elle repose sur l'observation d'une régularité qui n'assure en rien sa pérennité. Donc, Planck part de deux idées fondamentales pour sauver le déterminisme causal :

  • Un événement est conditionné causalement quand il peut être prédit avec certitude.
  • En aucun cas, il n'est possible de prédire exactement un phénomène physique.

Ou bien l'on maintient ces deux vérités, et alors il n'y a pas dans la nature un seul cas où l'on puisse affirmer l'existence d'un lien causal, et il en résulte un indéterminisme causal. Ou bien, on maintient la causalité stricte et il devient nécessaire de modifier d'une manière ou d'une autre la première proposition.

Si l'on désire modifier la première vérité, le seul terme sur lequel on peut jouer, est celui d'événement. En effet, un événement est un certain phénomène purement imaginaire ayant a lieu dans un monde, qui tient lieu de monde sensible tel que nous le font connaître directement les organes de nos sens, aidés, au besoin et perfectionnés par l'usage des instruments de mesure. Ce monde est le modèle idéalisé qui a été crée dans le but d'éliminer l'incertitude inhérente à toute mesure réelle et de n'opérer que sur des concepts définis avec une netteté absolue. Planck distingue donc le monde réel du monde représenté par la science. Il en résulte que toute grandeur mesurable a une double signification, selon qu'on la considère comme étant le résultat immédiat d'une mesure ou qu'on la suppose se rapporter à ce modèle. Dans la première acceptation, une grandeur doit toujours être considérée comme étant définie d'une manière imprécise; dans la seconde acceptation, une grandeur est au contraire un symbole mathématique déterminé sur lequel on opère en observant des règles d'une rigueur absolue. En résumé, la prévision des événements du monde sensible, qui pour Planck est le monde réel, est toujours plus ou moins entachée d'incertitude, alors que les lois qui régissent l'image représentative physique de l'univers, c'est à dire le modèle, sont toujours déterminées par une causalité stricte.

Werner Heisengerg

Une telle division entre le monde sensible et le monde représentatif de la science portait en elle l'espoir que les différences iraient en s'atténuant en raison de leur perfectionnement incessant apporté aux méthodes de mesure. Or la physique quantique a ruiné cette espérance. En effet, à partir du moment où Heisenberg formula ses incertitudes, constatant l'impossibilité de déterminer précisément la vitesse et la position d'un électron, l'établissement d'une physique strictement causale soulève des difficultés. Pour résoudre ce problème, l'école de Copenhague affirme que la détermination simultanée des coordonnées et de la vitesse d'un point matériel n'a aucun sens physique dans l'univers subatomique. Copenhague SchoolCette échappatoire, comme le fait remarquer Planck, ne permet pas de nier la causalité stricte car elle ne peut être responsable de l'impossibilité qu'il y a de donner une réponse à une question qui n'a pas de sens. Ainsi, pour préserver la causalité, on peut dire que l'influence causale est exercée par l'instrument de mesure, ce qui signifie que l'indétermination provient, pour une part, de ce que entre la grandeur à mesurer et la façon de mesurer, il y a une interdépendance réglée par des lois. Le problème, dès lors, est de savoir si l'hypothèse d'une action causale de l'instrument de mesure apporte une explication vraisemblable car nous ne connaissons un phénomène qu'autant que nous le mesurons et toutes nouvelles mesures, en physique quantique, est une nouvelle perturbation. Ce qui revient à dire qu'il est impossible d'isoler l'indétermination afin d'en extraire les causes. Dès lors l'incertitude, qui règne au sujet de la prédiction des événements ayant lieu dans le monde sensible, est ramenée à l'impossibilité d'établir une correspondance précise entre l'image représentative de la physique et du monde réel. L'univers de la physique quantique est bien plus éloigné du monde sensible que celui de la physique classique et il est incomparablement plus difficile, en physique quantique qu'en physique classique, de transposer dans le monde représentatif un événement du monde sensible. Par exemple, le nom d'onde, dans la conception classique, signifiait soit un mouvement perceptible à nos sens, que l'on retrouve dans les phénomènes liquides, soit dans un champ électrique pouvant être mesuré directement. Dans la physique quantique, ce mot ne désigne plus que la probabilité d'existence d'un certain état. Cela a fait naître une conception indéterministe selon laquelle il faut oublier la causalité car de toutes les mesures que l'on peut effectuer, jamais on ne peut déduire plus qu'une fonction d'onde à signification purement statistique.

L'impossibilité de faire coïncider le monde sensible et l'image représentative qu'en a donné la science ne permet pas de légitimer le principe de causalité. Dès lors, Planck n'a d'autre moyen, pour sauver le déterminisme causal, de chercher si le principe de causalité n'aurait pas une signification plus immédiate et plus profonde grâce à laquelle il deviendrait indépendant de l'introduction d'une construction artificielle et s'appliquerait, non plus à l'univers purement représentatif des physiciens, mais aux événements du monde sensible. En ce sens, Planck ne modifie plus la notion d' " événement " mais s'intéresse à l'observateur, c'est à dire à celui qui fait la mesure, car toute prédiction suppose un objet sur lequel repose la prédiction et un sujet qui prédit. On laisse donc à l'objet de la prédiction son caractère d'être constitué par les événements du monde sensible et on s'intéresse au sujet dans son acte de prédiction. Planck constate que la certitude de la prédiction dépend dans une large mesure de l'individualité de celui qui l'a faite. Dans ces conditions, il est donc tout naturel de penser, qu'un esprit idéal qui connaîtrait tous les phénomènes physiques d'aujourd'hui jusque dans leurs moindres détails, pourrait prophétiser avec une certitude absolue. Grâce à cette hypothèse, Planck en conclut que le principe de causalité ne peut pas plus être prouvé qu'il ne peut être réfuté. Il n'est donc, à proprement parlé, ni vrai ni faux. C'est un principe heuristique, un guide, le guide le plus précieux pour nous indiquer la voie dans laquelle la recherche scientifique doit s'avancer pour arriver à des résultats féconds. 

 

2. L'indéterminisme

On s'aperçoit que Planck fait intervenir l'hypothèse, très laplacienne, que la connaissance de toutes les causes permettrait la prédiction de tous les phénomènes, reléguant aussi les incertitudes d'Heisenberg au rang d'incertitudes provisoires dues à des variables encore inconnues de l'esprit humain. Or, pour Bohr, un démon ne pourrait pas savoir, par exemple, la localisation exacte de la particule dans l'expérience de la boîte de de Broglie, car l'indétermination quantique ne provient pas de l'incomplétude de la théorie mais elle en est un des principes fondateurs. Cependant, si la physique quantique est d'essence indéterministe, elle ne l'est pas totalement. En effet, on pourrait dire qu'elle use d'un déterminisme tempéré. Et ceci de deux façons.

La première se rapporte à la loi des grands nombres. Celle-ci induit un "déterminisme statistique" qui se manifeste dans pratiquement toutes les occasions car ce n'est pas à un électron que l'on a affaire mais à des milliards. Cela permet de noyer l'incertitude unitaire dans la probabilité de l'ensemble. La seconde a son origine dans le fait que les lois quantiques ne sont pas toutes indéterministes. En effet, l'équation de Schrödinger, qui est une des formules de base de la mécanique quantique, est parfaitement déterministe. Elle permet de définir avec exactitude les énergies internes des systèmes étudiés ; cela signifie que c'est cette énergie qui est déterminée et non pas l'instant ou le lieu du système. Ainsi, elle représente la possibilité d'amener un vecteur d'état représentatif à prendre la forme : aA + bB. Dans ce cas, l'axiome en question fournit les probabilités de trouver la particule soit dans le canal A soit dans le canal B. Naturellement, dans le cas où l'expérience est faite non, plus sur une particule mais sur un faisceau en contenant plusieurs millions, la loi des grands nombres vient restaurer une forme de déterminisme. Dans chaque canal on observera, à de petites fluctuations près, un nombre de particules à la probabilité prédite par la théorie ; ici, elle est égale à la moitié dans le canal A et à l'autre moitié dans le canal B. C'est ce que l'on nomme le déterminisme statistique. Cependant, selon l'interprétation de Copenhague, on ne peut aller plus loin dans le déterminisme. Pour elle, les probabilités en question sont intrinsèques, ce qui signifie que même un démon qui, par hypothèse, connaîtrait absolument tout de l'état initial d'une particule donnée et de l'instrument, ne pourrait ni prédire dans quel canal la particule sera trouvée, ni donner les raisons qui font qu'on la trouve dans l'un plutôt que dans l'autre de ces deux canaux. Ainsi, la physique quantique récuse le principe leibnizien de raison suffisante. En effet, selon Leibniz, une connaissance entière des causes suffirait à donner les raisons pour lesquelles un événement se produit, reniant ainsi l'idée de hasard. Or, pour l'école de Copenhague, la physique quantique apporte la preuve que ce déterminisme strict n'est pas viable.

Cependant, cette preuve n'est pas partagée par tous, ce qui se traduit par des théories ayant pour but de sauver le déterminisme classique. Il en va ainsi pour la théorie de l'onde-pilote propre à de Broglie. Elle affirme que la particule et l'onde existent l'une et l'autre simultanément et que la première est pilotée par la seconde. La théorie peut être rendue quantitative et, dans les situations simples, les prévisions essentielles de la mécanique quantique sont retrouvées. Toutefois, elle ne se maintient dans les cas plus complexes qu'à force de modifications la rendant suspecte d'artifices aux yeux des physiciens. L'important ici, c'est que l'indéterminisme que suppose la physique quantique puise sa légitimité dans l'échec des nouvelles théories déterministes car prouver l'indéterminisme ne peut se faire qu'en le déterminant, c'est à dire le limiter à des caractéristiques précises. Niels BohrC'est pourquoi Niels Bohr, et avec lui l'école de Copenhague, affirme qu'on ne peut rien dire de plus que la réalité quantique est indéterminée. Dès lors pour essayer de justifier l'indéterminisme, il faut démontrer l'inadéquation entre la pensée déterministe et le Réel. C'est ainsi que Bernard d'Espagnat montre dans ses divers ouvrages que la probabilité quantique, ou déterminisme statistique, diverge de la probabilité classique. En effet, les énoncés issus de la probabilité quantique n'ont pas pour but de nous exposer les propriétés de l'objet étudié mais celui d'affirmer que si l'on fait sur cet objet la mesure correspondant à la propriété étudiée, on obtient le résultat "oui". La probabilité quantique regroupe l'objet, l'entreprise de mesure et le "on" qui désigne la collectivité des scientifiques. Elle dépend donc de trois variables alors que la probabilité classique ne comprenait que celle de l'objet. Rétablir le déterminisme suppose que l'on puisse fixer avec certitude et en même temps ces trois variables. Or, comme l'expose les incertitudes d'Heisenberg, on ne peut pas différencier l'objet étudié du dispositif de mesure. De même, on peut intégrer à cette interdépendance celle de l'observateur qui, par ses choix, oriente l'expérience. Dès lors, ce que l'on appelle déterminisme statistique c'est l'équation qui conjugue ces trois variables pour établir un résultat. Prétendre que celui-ci est le reflet du Réel qui se présente à travers l'objet, c'est oublier le rôle des deux autres variables que sont l'instrument de mesure et l'observateur. Il en résulte nécessairement que ce résultat est le reflet d'une réalité expérimentale qui a pour but de mesurer le Réel. C'est donc une approche et non l'observation d'une qualité pure de la réalité.

De plus, il ne faut pas limiter ce déterminisme statistique à la seule conjugaison de trois variables car cela signifie que chacune dispose d'une réalité permanente et indépendante. Or, selon l'interprétation de Copenhague, un objet atomique ou subatomique ne jouit pas d'une authentique permanence. Il n'apparaît qu'ici ou là lors d'une mesure, c'est à dire lorsqu'il est détecté par un appareil de dimension macroscopique conçu pour effectuer cette détection. Mais il n'est pas possible, même par la pensée, de lui attribuer une trajectoire, ce qui signifie de l'imaginer occupant à chaque instant un lieu précis, même quand il n'est pas observé. A cela vient s'ajouter le fait que la physique quantique nie le principe de conservation de la matière. En effet, il n'existe aucune sorte de particules dont le nombre reste constant quelles que soient les circonstances. Bernard d'Espagnat précise dans Regards sur la Matière (chapitre 2, 2ème partie), que "toute particule, quel que soit son type - électron, nucléon ou autre - peut éventuellement être créée, en concomitance s'il y a lieu avec son antiparticule, lors d'un choc entre deux, objets subsistants, et aux dépens de la seule énergie de mouvement de ces deux objets. Et, inversement, une particule et une antiparticule du même type peuvent s'annihiler réciproquement et leur masse totalement ou partiellement se transformer en pure énergie de rayonnement ou en mouvement d'autres objets. Le principe de conservation de la matière plaçait le physicien face à un tout limité par des lois qui suggéraient une permanence toujours accessible." La probabilité classique résultait donc d'une ignorance, c'est à dire, schématiquement, que la cause d'un phénomène était soit la raison A soit la raison B, c'est à dire une raison quelconque à déterminer mais qui existait car on avait affaire à un tout limité par des lois comme celles de la causalité. La probabilité quantique expose le choix entre la cause A, la cause B ou pas de cause du tout car le Réel n'est plus conçu comme un tout accessible mais comme un concept qui, s'il existe, nous échappe et nous échappera toujours (ceci si l'on demeure dans le cas de l'interprétation de Copenhague).

 

3. La "causalité élargie" selon Bernard d'Espagnat

Admettre l'indéterminisme ne signifie pas que l'on bannit la causalité de l'explication scientifique. Cependant, ne pouvant plus justifier l'utilisation d'une causalité simplement déterministe, il faut élargir le sens de cette notion. Bernard d'Espagnat répondBernard d'Espagnat à Léna Soler dans Physique et Réalité que "lorsque la cause recherchée ne peut être trouvée parmi les faits que notre pensée scientifico-déductive maîtrise bien, il me paraît légitime de considérer que cette cause n'en existe pas moins mais qu'elle se situe dans un domaine que notre pensée ne maîtrise qu'imparfaitement". En d'autres termes, cela signifie que la régularité des phénomènes prouve, selon d'Espagnat, l'existence d'une réalité indépendante. Dès lors, le lien qui relie cette réalité indépendante à cette régularité des phénomènes est nécessairement causal, au sens où c'est parce que la réalité indépendante présente certaines structures que les phénomènes sont régis par des lois déterminées.

Pour la définir de manière générale, la causalité élargie désigne "l'action de la réalité indépendante sur les phénomènes" (Bernard d'Espagnat dans Le Réel voilé). Elle s'oppose à la causalité comme "moyen humain d'organiser les phénomènes dans notre esprit", qui, elle, ne permet de relier que des phénomènes dans la réalité empirique. Au contraire, la causalité élargie nomme la relation entre la réalité phénoménale et la réalité indépendante. Il s'oppose donc à la conception kantienne de la causalité qui prescrit de la circonscrire au seul champ des phénomènes. Si l'on voulait traduire la pense de d'Espagnat dans le lexique kantien, on identifierait la réalité empirique du physicien aux phénomènes du philosophe et la réalité indépendante à la chose en soi. Ainsi, la causalité élargie est ce qui relie les phénomènes à la chose en soi. Kant s'opposait à une telle relation car l'application des catégories n'était valable que dans le domaine phénoménal, seul domaine dans lequel une connaissance digne de ce nom soit susceptible d'émerger. Or, étant donné que la physique quantique met à mal la causalité au niveau des phénomènes, d'Espagnat estime qu'il faut violer cet interdit kantien et élargir la causalité à la chose en soi.

Il nous faut signaler que la notion de causalité élargie est présentée par d'Espagnat comme une hypothèse suggérée par la physique quantique. Selon cette hypothèse, "la notion d'une réalité dont l'existence ne dépend en rien de la nôtre a un sens par elle-même, quelles que soient, dans le détail, la nature et la fiabilité de la connaissance que nous sommes capables d'avoir de celle-ci" (Le Réel voilé). Ainsi, la notion de réalité indépendante est explicitement présentée comme une prémisse à la notion de causalité élargie. Il en résulte que pour Bernard d'Espagnat la causalité élargie est une conséquence logique de la physique quantique associée à l'hypothèse de l'existence d'une réalité indépendante. Cela a pour conséquence de fragiliser cette notion de causalité élargie. En effet, elle s'apparente à un pont reliant une terre connue à un monde totalement hypothétique, séparés par un vide ne permettant aucun ancrage à une assise.

D'Espagnat fait reposer l'existence de la réalité indépendante sur deux preuves essentielles : l'impression que quelque chose nous résiste, c'est à dire que le monde ne peut pas être issu exclusivement de notre représentation car toutes les théories "ne marchent pas", et l'accord intersubjectif. Or, comme le montre Léna Soler dans Physique et Réalité, il y en a une troisième. En effet, si l'on schématise l'argumentation de d'Espagnat on peut la résumer ainsi :

  1. Nous ne pouvons pas rendre compte des régularités phénoménales à partir de n'importe quelle loi mathématique.
  2. Il existe donc une cause à ce fait.
  3. Quelle est la nature de cette cause ?
    1. La cause est dans le champ des phénomènes.
    2. Or le champ phénoménal se compose de deux types d'êtres : l'esprit et la matière. Si la cause des lois physiques est dans le champ des phénomènes, il faut donc l'identifier soit à quelque chose qui a trait à l'esprit soit à quelque chose qui a trait au caractère inanimé des phénomènes.
    3. La cause ne peut être "nous" ; si ce n'est pas l'esprit, est-ce que l'aspect matériel des phénomènes peut être la cause des régularités phénoménales ? Il répond que cela n'expliquerait rien.
    4. Donc, la cause des légalités phénoménales doit être recherchée en dehors des phénomènes.
  4. Conclusion : la cause postulée des régularités empiriques est indépendante des phénomènes, et on l'appellera "réalité indépendante".

Cela signifie que l'existence de la réalité indépendante repose sur deux présupposés :

  • Il doit exister une cause aux régularités phénoménales.
  • La dualité cartésienne entre la pensée et l'étendue épuise les possibles phénoménaux.

Réunis, ces deux présupposés convergent vers l'affirmation d'une causalité liant la réalité indépendante à la réalité empirique. Mais c'est seulement lorsqu'on admet au préalable une relation de causalité qui ne se réduit pas forcément à relier des phénomènes que "ce qui cause" peut être nommé réalité indépendante. Léna Soler en conclut que c'est "la notion de causalité élargie qui apparaît donc logiquement première par rapport à celle de réalité indépendante".

Léna SolerNous partageons la conclusion de Léna Soler, cependant, le fait que d'Espagnat renonce à limiter la causalité à la réalité empirique ne nous apparaît pas comme un principe mais bien plutôt comme une conséquence de la physique quantique. En effet, les expériences d'Aspect puis de Bernex et Bellevue prouvent la non-localité, ce qui a pour résultante d'affirmer la vraisemblance de l'interprétation de Copenhague. En ce sens la théorie de la causalité classique devient obsolète. Cela signifie qu'au niveau des phénomènes règne l'indéterminisme. Or comment, dès lors, pouvons-nous penser une causalité qui ne lie pas des phénomènes déterminés ? Certes, il existe des modèles pour calculer l'aléatoire mais ils ne définissent pas le phénomène de façon positive mais plutôt de façon négative. On entend par-là qu'ils définissent l'objet en précisant ce qu'il n'est pas plutôt que ce qu'il est. Par exemple, le moment de la désintégration d'une molécule radioactive se mesure en fonction d'une fourchette de valeurs approchées, de l'ordre de la nanoseconde, c'est à dire qu'on sait à peu près jusqu'à quel instant elle ne se désintégrera pas et à partir de quel moment on peut la considérer comme désintégrée. Entre ces deux "certitudes" il y a un espace irréductible où règne la plus grande indétermination. Pour un opérationnaliste, cet espace n'est pas gênant car il suffit de le transformer en variable pour l'inclure dans une causalité que l'on nommera causalité indéterministe ; alors que pour un réaliste, ce petit interstice ouvre sur un océan d'incertitudes et de remises en question. Bernard d'Espagnat y voit une ouverture à la métaphysique et c'est pourquoi il nous semble qu'il énonce l'hypothèse d'une réalité indépendante qui justifie et se justifie en même temps par la notion de causalité élargie.

 

4. Bibliographie

  1. Bernard d'Espagnat, Le Réel Voilé. Analyse des concepts quantiques (1994. Fayard).
  2. Bernard d'Espagnat, A la recherche du réel (Bordas; rééd. Coll. Pocket-Agora).
  3. M.Bitbol et S.Laugier, Physique et Réalité, un débat avec Bernard d'Espagnat (1997. Frontières).
  4. Heisenberg, Physique et philosophie (Albin Michel).
  5. E.Schrödinger, La nature et les Grecs (1992. Seuil).

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